Lorsqu’après la défaite de Napoléon, les armées coalisées entrent dans Paris, elles deviennent des cibles de choix pour les caricaturistes. Leurs particularités et leurs tenues vestimentaires font gentiment sourire mais clichés et stéréotypes très négatifs ne tardent pas à s’ancrer. Un personnage représenté de façon récurrente est le gros Anglais grossier. Sur certains dessins, il apparait en vêtements civils et est représenté, sous l’appellation « John Bull », comme l’incarnation caricaturée de l’Anglais par excellence, un homme gros, portant culotte et haut-de-forme, souvent accompagné d’un bouledogue. Alors que cette image est au départ positive chez les Anglais, la version française est quant à elle connotée très négativement : elle donne à voir un gros plein de soupe engloutissant son rosbeef, ne faisant preuve d’aucune finesse et dénué de bonnes manières. Dans de nombreuses caricatures françaises, l’Anglais est également représenté en soldat et se reconnait à la couleur rouge de son uniforme, d’où le surnom de « tuniques rouges » qui lui sera attribué. La présente caricature, L’envie réciproque, associe les deux figures du John Bull et du tunique rouge. Mais au lieu d’être accompagné par un bouledogue, l’Anglais a à ses pieds un gros carlin. Il est assis à une table richement dressée et se tient le ventre bien rebondi. Sous la table s’empilent des assiettes vides et des bouteilles cassées. À la fenêtre se penche un invalide amaigri s’appuyant sur des béquilles et quémandant à manger : « Je n’ai rien mangé depuis hier ». Le tunique rouge visiblement plus que rassasié jure car il n’a pas pu tout manger et plaint (en mauvais français) avec cynisme l’homme affamé : « Ce coquin il doit être bien heureux de avoir faim. » Sur le plan de l’iconographie, la caricature rappelle une œuvre satirique du caricaturiste britannique James Gillray de 1792 dans laquelle il compare la liberté française (acquise par la Révolution) avec l’esclavagisme britannique. La personnification amaigrie et négligée de la France en est réduite à grignoter un oignon tandis qu’un John Bull obèse se repaît d’un repas conséquent.
Ce dessin est la feuille n°6 de la série Le Suprême Bon Ton de l’éditeur Pierre Plancher. [Johanna Kätzel]
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